Droits TV: DAZN en déficit abyssal menace l'équilibre du foot français

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DAZN enregistre des pertes d'environ 240 millions d'euros pour sa première saison de diffusion de la Ligue 1

Le diffuseur de la Ligue 1 au bord du gouffre financier

Censée incarner un nouveau souffle pour le football français, l'arrivée de DAZN comme diffuseur principal de la Ligue 1 se transforme en véritable cauchemar. Le médiateur chargé de la conciliation entre la plateforme britannique et la Ligue de Football Professionnel (LFP) a révélé l'ampleur du désastre: DAZN enregistre des pertes comprises entre 200 et 250 millions d'euros pour sa première saison.

Cette situation catastrophique s'explique par un modèle économique qui n'a jamais trouvé son équilibre. DAZN verse 325 millions d'euros à la LFP pour les droits de diffusion, auxquels s'ajoutent environ 35 millions d'euros de frais opérationnels (journalistes, consultants, déplacements, marketing). Ce total de 360 millions d'euros se heurte à une réalité brutale: la plateforme n'a généré que 120 millions d'euros de recettes.

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Des tarifs prohibitifs et un public réticent

L'échec commercial de DAZN trouve en partie son origine dans une stratégie tarifaire contestée dès son lancement. Avec des abonnements fixés à 29,99 euros par mois avec engagement annuel, ou 39,99 euros sans engagement, la plateforme s'est rapidement mise à dos les supporters français, habitués à des tarifs plus accessibles.

Résultat: seulement 500 000 abonnés ont souscrit à l'offre, très loin de l'objectif initial de 1,5 million nécessaire à la rentabilité du modèle. Face à ce constat, DAZN a multiplié les remises commerciales, sans parvenir à inverser significativement la tendance. En parallèle, le piratage et le streaming illégal ont connu une progression fulgurante, privant le diffuseur de revenus substantiels.

Un conflit juridique qui s'envenime

Le désastre économique a rapidement dégénéré en affrontement juridique entre DAZN et la LFP. Dès décembre 2024, la plateforme britannique a adressé un courrier accusatoire à la Ligue, dénonçant une « tromperie sur la marchandise ». DAZN reproche notamment à la LFP d'avoir menti sur le nombre d'abonnés du cycle précédent, d'avoir failli dans la lutte contre le piratage, et de ne pas avoir suffisamment incité les clubs à coopérer pour valoriser le « produit Ligue 1 ».

La situation a franchi un cap le 30 janvier 2025, lorsque DAZN a décidé de ne payer que la moitié de son échéance (35 millions d'euros), plaçant l'autre moitié sous séquestre. Dans la foulée, la plateforme a assigné la LFP devant le tribunal de commerce, réclamant la somme pharaonique de 573 millions d'euros – 309 millions pour « tromperie sur la marchandise » et 264 millions pour « manquement observé ».

Face à ce qu'elle considère comme un « refus infondé d'honorer ses engagements financiers », la LFP a contre-attaqué en saisissant le juge des référés pour obtenir le paiement intégral des sommes dues. Cette escalade judiciaire témoigne de la dégradation profonde des relations entre les deux parties.

Une médiation au point mort

Malgré la nomination d'un médiateur pour tenter de résoudre ce conflit, les négociations font du surplace. La situation est d'autant plus alarmante que DAZN envisage désormais de quitter la Ligue 1 dès la fin de cette saison, bien avant l'activation possible de la clause de sortie prévue en décembre 2025.

Si Brice Daumin, directeur de DAZN France, assurait en février que « nous n'avons aucune intention de partir », la réalité économique semble avoir rattrapé la plateforme. D'autant plus que le contrat prévoit une augmentation automatique de 50 millions d'euros pour la saison 2025-2026, rendant la situation encore plus intenable à court terme.

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Des clubs français au bord de l'asphyxie financière

Cette crise des droits TV plonge les clubs de Ligue 1 dans une situation financière extrêmement périlleuse, qualifiée « d'extrême danger » par l'avocat de la LFP. Face aux retards de paiement, la Ligue a dû puiser dans son fonds de réserve pour permettre aux clubs « de faire face à leurs besoins de trésorerie ».

La crainte d'un nouveau « Mediapro » hante les présidents de club. En 2020, le fiasco du diffuseur espagnol avait déjà provoqué un effondrement des revenus du football français. Si DAZN venait à claquer la porte, les conséquences pourraient être encore plus dramatiques, d'autant que les clubs ont déjà dû s'adapter à une baisse significative de leurs revenus audiovisuels.

Un modèle économique à repenser

Cette nouvelle crise met en lumière la fragilité structurelle du modèle économique du football français, trop dépendant des droits de diffusion. Vincent Labrune, président de la LFP, avait initialement fixé des attentes à 800 millions d'euros, avant de devoir accepter une offre bien inférieure face au désintérêt de diffuseurs historiques comme Canal+ et au retrait d'Amazon.

La LFP se retrouve aujourd'hui confrontée à un dilemme cornélien: accepter de renégocier à la baisse le contrat avec DAZN, au risque d'affaiblir encore davantage les finances des clubs, ou maintenir ses exigences et risquer un départ précipité du diffuseur britannique.

Quelles perspectives pour l'avenir des droits TV?

Face à cette situation critique, plusieurs scénarios se dessinent. Une renégociation du contrat semble inévitable, tant le modèle actuel paraît insoutenable pour DAZN. La plateforme pourrait obtenir une réduction significative de sa contribution financière, en échange d'un engagement à poursuivre la diffusion.

En coulisses, d'autres diffuseurs historiques resteraient en embuscade, prêts à saisir l'opportunité d'un éventuel désengagement de DAZN. Cependant, aucun acteur ne semble disposé à s'approcher des montants initialement convenus.

Cette crise pourrait également accélérer la réflexion sur des modèles alternatifs, comme la création d'une chaîne propre à la Ligue, une solution longtemps soutenue par Vincent Labrune mais écartée par les clubs qui craignaient des difficultés de trésorerie à court terme.

La fin d'une ère pour le foot français?

Au-delà des aspects financiers immédiats, cette crise pose la question fondamentale de la valorisation du football français. Dans un contexte où le piratage se développe et où les habitudes de consommation évoluent, la Ligue 1 peine à trouver un modèle économique pérenne.

Le prestige sportif du championnat, déjà affecté par le départ de stars comme Mbappé, risque de souffrir davantage si les clubs se voient contraints de réduire drastiquement leurs investissements. Un cercle vicieux qui pourrait diminuer encore l'attractivité du produit « Ligue 1 » auprès des diffuseurs potentiels et des spectateurs.

Alors que la médiation se poursuit et que les tribunaux se prononcent, l'avenir immédiat du football français semble plus incertain que jamais, suspendu aux décisions d'un diffuseur en difficulté et d'une Ligue prise entre le marteau des nécessités financières et l'enclume des exigences contractuelles.